Henriette Couédon, la voyante de la rue de Paradis

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En ce mois d’avril 1896, le concierge du 40 rue de Paradis est inquiet :  pourquoi les locataires du 4éme, M. et Mme Couédon, qui mènent une vie rangée avec leur fille, se sont mis brusquement à recevoir 20 à 30 personnes par jour ?

Un matin il décide de mener son enquête et suit discrètement un des visiteurs.
Celui-ci parvenu au 4éme étage, sonne et attend. Le concierge, qui est caché dans un coin de l’escalier, tend l’oreille.
La porte s’ouvre.
Le visiteur dit à Mme Couédon :
Bonjour madame, j’aurais une question à poser à l’archange Gabriel.
Mme Couédon répond :
Suivez-moi ma fille va vous recevoir.

Même si l’on est rue de Paradis, le concierge est éberlué par la scène à laquelle il vient d’assister ! 

Henriette Couédon et ses parents étaient locataire d’un appartement, au 4 éme étage et dernier étage, dans l’immeuble du 40 rue de Paradis dans le 10e arr. 
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Le lendemain il interpelle Henriette, une grande fille brune âgé de 24 ans, lorsqu’elle passe devant sa loge.
-Qu’est ce qu’ils vous veulent tout ces gens qui viennent chez vous ?
-A moi rien …. c’est à l’Archange Gabriel qu’ils s’adressent ! ils l’interrogent et l’archange leur répond par ma bouche.
-Vous devez gagner beaucoup d’argent car vous avez une belle clientèle !
-Je ne me fais pas payer. J’ai été choisie par le ciel,c’est une mission que j’accomplis.

Et elle poursuit tranquillement son chemin.

Archange Gabriel – Chapelle des Dominicaines de la Présentation – Paris
P2550094 (1)

Tout Paris parle de la voyante de la rue de Paradis. Les journaux viennent l’interviewer ce qui décuplent le nombre de visiteurs. On en comptera  jusqu’à cent par jour  ! il y a des gens partout, sur le palier, dans l’escalier et jusque sur le trottoir. On imagine le désarroi du pauvre concierge !

On les introduit par petits groupes dans un salon modeste. Ils attendent en silence comme s’ils étaient à l’église.

Puis la jeune voyante paraît, souriante et explique comment les choses vont se passer:
posez vos questions à l’ange, pas à moi. C’est lui qui vous répondra. Ne vous étonnez pas s’il vous tutoie. Mais vous vous devez le vouvoyer.

Après quoi Henriette Couédon s’assied dans un fauteuil, immobile, les yeux à demi clos……  la séance peut commencer.

Dans « sa clientèle » on trouve des gens de toutes classes sociales. Les demandes sont aussi des plus variées. Comme cette dame qui demanda si elle retrouverait sa perruche, l’ange exaspéré répondit qu’il ne s’occupait pas de sujet aussi frivole.

Elle eut parmi ses visiteurs le prince Henri d’Orléans, inquiet sur son avenir politique: – Archange, est-ce moi qui monterai sur le trône de France ?
-Pas du tout, répondit l’archange sans aucun ménagement !

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Le 21 mars 1897, la comtesse de Maillé organise une réception en son hôtel particulier  afin de présenter la grande vente de charité qui doit se dérouler rue jean Goujon, les 3,4,5,6 mai 1987.

Pour animer cette soirée, elle convie également la désormais célèbre voyante de la rue de Paradis.

Voilà que pendant la soirée, Henriette entre en une sorte de transe et déclare  :
« Près des Champs-Élysées, je vois un endroit pas élevé, qui n’est pas pour la pitié, mais qui en est approché dans un but de charité qui n’est pas la vérité. Je vois le feu s’élever et les gens hurler. Des chairs grillées, des corps calcinés. J’en vois comme par pelletées… » (Le Gaulois du 15 mai 1897).

Tout le monde est saisi d’effroi, puis l’on oublie l’horrible prophétie et la soirée continue.

 

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Le 4 mai 1897 à 16h30, la prophétie est confirmée. Un incendie ravage les locaux du Bazar de la Charité, situé rue jean Goujon dans le 8éme arr. Il fera 129 victimes dont 123 femmes issues de l’aristocratie.

Le Petit Journal évoquera le drame en ces termes : « C’est un spectacle inoubliable dans cet immense cadre de feu formé par l’ensemble du bazar, où tout brûle à la fois, boutiques, cloisons, planchers et façades, des hommes, des femmes, des enfants se tordent, poussant des hurlements de damnés, essayant en vain de trouver une issue, puis flambent à leur tour et retombent au monceau toujours grossissant de cadavres calcinés. »
Au début du mois de juin, Mlle Couédon qui s’érige  en justicière déclare à un journaliste : « Notre mollesse et notre incurie nous condamnent à subir bien d’autres épreuves ».
Les mondaines  ne trouveront jamais grâce à ses yeux. Les martyrs de la rue Goujon resteront pour Henriette Couédon des victimes expiatoires.

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La voyante est au sommet de sa notoriété mais la situation va rapidement se dégrader.

Sans doute manipulée par des hommes d’extrême droite monarchiste qui la porte aux nues, Henriette Couédon annonce les pires catastrophes pour la France : la guerre, la famine, la maladie, des pluies de feu et des typhons, le retour d’un monarque blond, jeune et beau. Elle prédit aussi que les juifs seront repoussés hors des frontières. 

Ses prédictions deviennent politiquement inacceptables dans la république laïque qui s’impose en France à la fin du XIXe siècle.

Gaëtan Gatian de Clérambault psychiatre, ethnographe et photographe (né le 2 juillet 1872 à Bourges et décédé par suicide le 17 novembre 1934 à Malakoff).
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Oubliée, Henriette tombe dans une sombre solitude. A 48 ans, le premier décembre 1920, elle est examinée par l’infirmerie spéciale de la Préfecture de police de Paris.

Selon le rapport, la voyante présentait depuis quelques temps des idées de persécution, de mégalomanie, des préoccupations sexuelles, une solitude morale et une agitation accompagnée de cris, de bris d’objet.

Elle fut internée pour <délire des actes incompatibles avec la vie courante>.

Dans la conclusion de son certificat d’internement le psychiatre Gaëtan Gatian de Clérambault note : <épave sociale>.

 

 

Sources.

-Histoire de la voyance et du paranormal. Du XVIIIe à nos jours- Nicole Edelman – 2006 au Seuil

-Histoires magiques de l’histoire de France Guy Breton,Louis Pauwels – Albin Michel

-https://savoirsdhistoire.wordpress.com

-http://laurentgay1984.skyrock.com

9 réflexions sur « Henriette Couédon, la voyante de la rue de Paradis »

  1. C’est une passionnante histoire, pleine d’éléments tragiques et marquée par les hantises de l’humanité. Un destin de femme, sinusoïdal, empreint de gravité, tissé de succès et d’épreuves incommensurables. Un destin si sombre en bout de course, pauvre femme… Dialoguer avec les puissances d’en haut ne permet pas de vivre positivement ici bas… du moins dans son cas.
    Bravo pour le travail de recherches, l’écriture, la qualité de la documentation et merci de tes pensées d’amitié. Gros bisous à tous, bon week-end
    Cendrine

  2. Bonsoir,

    La « Plume fée de Paris » m’a conseillé votre article qui traite d’un sujet qui m’est cher : la médiumnité ou dans le contexte où cette malheureuse femme était l’habitation momentanée de son esprit par une entité d’un plan supérieur. Il n’y a pas pas à exprimer de doutes sur cette présence capable d’aller au delà du présent pour les simples mortels. Maintenant lui donner un nom … passe pour un archange . L’entité certainement savait s’adapter aux connaissances religieuses de cette personne et de cette époque. La question étant de savoir quel est le but de ces prophéties ? D’autant qu’une fois que le véhicule humain a rempli la mission qui lui a été dévolu, il est ensuite abandonné à son sort. Et si la prophétesse fascine un temps, elle fait peur par ce qu’elle révèle ou fait et termine hélas pour elle plutôt mal . La pire des situations étant parfois non pas de finir dans un asile mais brûlée comme l’a été Jeanne d’Arc, elle aussi en son temps véhicule terrestre d’un être supérieur…. On sait combien Jeanne d’Arc a pu marquer le royaume de France et changer le cours de l’histoire par la portée de ses actes . Pour revenir à cette brave mademoiselle Couédon je reste étonné de ses révélations et m’interroge comme je le disais plus haut sur la portée de ses prophéties.

  3. merci à vous et à Ma plume fée de Paris de vous intéresser à cet article. Je ne suis pas comme vous expert dans le domaine de la médiummité mais j’ai pris beaucoup de plaisir à traiter l’histoire de Henriette Couédon. Même si on n’est un peu sceptique, sa prophétie, concernant le bazar de la Charité, interroge. Ensuite il y a ce destin : la gloire, la chute tout ça en peu de temps.

  4. Bonjour,

    Je cherche depuis longtemps à savoir où Henriette Couédon a été inhumée. Si quelqu’un a une piste, je suis intéressé.
    Merci d’avance.

  5. Pour savoir où fut enterrée cette « médium », et aussi en quelle année est-elle décédée, il faut dans un premier temps retrouver dans quel asile de dingues elle a pu finir ses jours (St-Anne ? Esquirol ancien Charenton ? Ville Evrard ? Maison Blanche ?).

    Car, très certainement qu’en tant « qu’épave sociale » (c’est Gaëtan Gatian de Clérambault qui l’a dit) elle a dû finir « internée à vie ».

    Donc l’hôpital a certainement gardé des traces de son séjour dans ses archives. À moins que depuis, ces archives ont été passées au destructeur, cela arrive souvent avec les archives des hôpitaux antérieures à 1950…

    Quant à retrouver sa tombe, n’y comptez pas !

    En effet, il est à supposer que cette malheureuse est décédée sans le sous, et certainement abandonnée de tous. Donc elle n’a eu droit qu’aux funérailles réservées aux indigeants, soit une concession temporaire de 5 ans au cimetière de Pantin ou encore à celui de Thiais (celui où finissent les clodos).

    Si bien que la tombe de cette Mlle Couédon a certainement disparu depuis fort longtemps…

    Remarquez, on peut toujours essayer de demander cela à l’Archange Gabriel, mais I’M SORY, je n’ai pas son numéro de téléphone…

  6. Bonjour,
    J’ai enfin retrouvé la trace d’Henriette Couédon. Vous trouverez les éléments dans ce travail :
    Le Maléfan, P. & Gumpper, S. La véritable fin de la voyante Henriette Couëdon (1867-1941) : itinérance asilaire d’une « médium délirante », L’Evolution psychiatrique, 2021, 86 (3) : 627-643.

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