Etranges étrangers de Jacques Prévert

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La longue période de crise que nous vivons fait ressurgir toutes les peurs dont se nourrissent les discours xénophobes et la recherche de bouc-émissaires.  Le poème de Jacques Prévert, Etranges étrangers paraît en 1951 dans le recueil Grand bal de printemps.*

En 2013 ce texte est, hélas, tout à fait d’actualité.  

Jacques Prévert lui-même  récite son poème accompagné à la guitare par henri Crolla.

prevert

 Etranges étrangers.

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
cobayes des colonies
Doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue
 soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou bien du Finistère
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque jour
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet
Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés
Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.

 Jacques PRÉVERT   Grand bal du printemps
(La Guilde du Livre,1951 ; Éditions Gallimard,1976 )
      

 

*Affiche prix du public 2006 « Grenoble contre le racisme »

20 réflexions sur « Etranges étrangers de Jacques Prévert »

    • Dans ces moments troublés, il ne faut pas se résigner, il faut opposer la fraternité (comme le fait Prévert) au discours de haine que nous entendons à longueur d’onde.

      Merci
      gérard

  1. Ce matin, j’ai le coeur angoissé par notre société qui glisse, glisse….. glisse vers le rejet de l’autre et toutes ses valeurs obscurantistes . Nous sommes le 1° mai, il neige et ce poème écrit avant ma naissance est d’une réalité consternante.
    Rien n’a changé, celui qui est différent par sa couleur, sa religion ou ses idées, n’aura peut être plus droit de cité en France…..
    Je suis abysallement triste…..
    Christine

    • La situation est difficile, personne ne peut le nier, mais nous avons notre destin entre nos mains. Opposons la fraternité et l’intelligence à la haine et à l’obscurantisme… sans relâche …. comme Prévert et tant d’autres.

      merci pour votre message
      gérard

      • oui Gérard! Il nous appartient de ne pas seulement désespérer. Tant que nous sommes vivants nous pouvons agir pour que la solidarité et la fraternité prennent la place grignotée par la haine.

  2. je viens d’entendre ce poème .Que nous dit -il d’autre que ce que l’on vit et entend
    tous les jours ,et, il est bien triste que l’on oublie aussi vite que le monde reste monde
    a la veille de ce nouveau vote . N’oublions pas le passé .

  3. Exactement élisabeth ! je partage totalement votre commentaire.

    Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir a écrit Todd Strasser
    Merci pour la visite

  4. Merci pour ce chef d’œuvre de poésie et d’humanité
    Tant que nous serons sensibles et réceptifs à cette intelligence l’humanité sera sauvée
    Merci, merci, merci

  5. France inter a évoqué ce matin ce poème de Prévert que grâce à vous j’ai pu entendre de la voix même de son auteur. Merci.
    Je veux rester optimiste dans cette « mélasse » dans laquelle on nous impose de vivre.
    Il nous reste toujours une liberté individuelle (celle du colibri!!) qui nous permet, au quotidien, de vivre l’Autre de notre mieux.
    Pour éviter de la perdre, ne négligeons pas le 7 mai……….

    • merci à France Inter .. il n’y a pas beaucoup de radio qui font passer des poèmes !
      Comme on dit le pire n’est pas toujours certain !
      Je suis un incurable optimiste et je crois au sursaut des français .. et que le 7 mai nous pousserons un ouf de soulagement.

  6. oui, il nous reste une liberté individuelle ! Restons optimiste !! Je déplore , suis entre colère et tristesse de constater qu’il n’y est aucun défilé contre le FN !!…
    J’habite près d’une ville de province .Rien!
    Je remercie moi-aussi France Inter de m’avoir fait entendre ce poème de J.Prévert
    Il me reste de le droit de voter!

  7. Merci à France Inter et à Yolande Moreau qui m’ont fait découvrir ce matin ce poème de Prévert, dont l’actualité du message me glace. Il faut réagir, agir, et au minimum ne pas accepter.

    • merci à yolande Moreau, à France Inter et à toutes les personnes,comme vous, touchées par l’écoute ou la lecture de ce poème, que tout le monde devrait connaître.

  8. La grande Yolande Moreau ce matin, m’a fendu le coeur, encore une fois devrai-je dire, mieux encore , comme à CHAQUE fois
    «étranges étrangers»

  9. Merci à ceux et celles qui ont de la mémoire et nous font partager ces poèmes si tristement contemporains et à ceux et celles qui distillent l’espoir.

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